Cette semaine, j'ai essayé une Royal Enfield 750 Interceptor de 1969. Je vous explique pourquoi cette moto est importante.
1969 : année érotique, année de la CB 750, année où le monde de la moto entre définitivement dans une nouvelle ère. Certes, les histoires ne sont jamais écrites définitivement : si Royal Enfield a cartonné l'an dernier, c'est notamment grâce à la 650 Interceptor. Et si la marque a disparu de l'Occident en 1970, c'est aussi à cause de la 750 Interceptor ! Engagés dans une course à la puissance, les constructeurs anglais subissent une technologie mécanique dépassée et leurs gros twins sont à bout de souffle, d'autant qu'à l'époque, nombre de motards avaient une conduite sportive. La Royal Enfield 750 Interceptor ne déméritait pas : tenue de route très correcte, moteur puissant (dans le genre : 56 ch, pas si mal pour un twin anglais), vitesse de pointe élevée (180 km/h), voilà des qualités. Seulement, ses particularités, le faible réseau, les déboires et la fiabilité désastreuse des versions précédentes (vilebrequin qui se fend, goujons de culasse qui se barrent, embrayage sous dimensionné...), rien n'a porté cette moto. Et le Japon a gagné...
Royal Enfield 750 Interceptor : sa vie, son oeuvre
La 750 Interceptor chapeaute la lignée des twins Royal Enfield, et a d'ailleurs signé la fin de la structure anglaise de la marque (laissant le champ à l'entité indienne, qui s'est mise en place à la fin des années 50). Ainsi, pour concurrencer BSA, Triumph, Norton et consorts, Royal Enfield propose un twin 500 dès 1949, afin de contrer Triumph et sa 500 Speed Twin. Puis, en 1953 apparaîtra la 700 Meteor, qui évolue au cours des années 50 en trois versions : Meteor (36 ch), Super Meteor (40 ch) et Constellation (51 ch). Nouvelle augmentation de cylindrée en 1962, avec l'Interceptor 750. On note deux grandes séries d'Interceptor : la MKI, fabriquée jusqu'en 1966 ; la MKII, de 1967 à 1970, année de la banqueroute de Royal Enfield en Grande-Bretagne, se distingue par sa fourche et ses freins d'origine Norton, de nouveaux carters et une pompe à huile conçue pour une meilleure lubrification du vilebrequin. Un prototype d'Interceptor 800 a été conçu (moteur 778 cm3) en 1969 et il prenait 205 km/h chrono, mais le destin de la marque a fait qu'il n'est jamais entré en production.
L'histoire n'est pas finie pour autant : quelques moteurs d'Interceptor se sont retrouvés dans des Rickman Metisse entre 1970 et 1972 ; aux USA, l'importateur Floyd Cymer les a mis dans des cadres de sa conception et les a vendus sous la marque Indian (sic) dont il avait les droits !
Royal Enfield 750 Interceptor : trois choses qui m'ont fait kiffer
Ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion d'aborder une telle rareté. Elle est belle, fine, galbée, son réservoir chromé est craquant. Voici trois choses qui m'ont fait kiffer lors de l'essai :
- Victoire ! Réussir à la démarrer, ce n'est déjà pas rien. Entre la compression élevée, le fait qu'il faut trouver le bon momentum, le ralenti un peu instable, la voir prendre vie... et la conserver, c'est déjà cool !
- Ensuite, on apprécie le grand guidon un peu relevé, la position de conduite finalement assez relax. La boîte est ferme (elle est à l'italienne : sélecteur à droite, première en haut, le reste en bas...). En mode cool, on se fait plaisir, mais on voit qu'à chaque coup de gaz, le moteur est assez rugueux et ne demande qu'à délivrer son couple, de manière assez brutale.
- Déjà à l'époque, le freinage était jugé comme flippant. Cinquante ans après, il est effrayant d'inéfficacité. On profite donc du frein moteur, on anticipe, on est à l'écoute de l'engin. Et dire que dans la presse de l'époque, ils précisaient qu'elle tenait 170 de croisière avec de la marge !
Une Royal Enfield 750 Interceptor aujourd'hui : combien, comment...
Une 750 Interceptor valait 8950 F en 1969, soit un prix assez proche de celui d'une Honda 750 CB, pour un contenu certes plus rustique ! Aujourd'hui, la moto ne court pas les petites annonces et la fourchette de prix semble aller de 4000 € pour une base à restaurer à 14000 € pour une moto en parfait état. On en trouve plus facilement aux USA, bien évidemment. Par contre, la réputation de bête à chagrin n'est pas usurpée, même si les derniers millésimes sont forcément les moins pires. Lubrification, roulements, embrayage, haut moteur, voilà autant de points de vigilance sur une moto qui n'aurait pas été refaite à neuf. Sachez également que quelques-uns des spécialistes de la vieille anglaise, ayant pignon sur rue, ne veulent pas s'en occuper... A méditer !
Quelques chiffres clé :
- 2 cylindres en ligne, 4-temps, 736 cm3, 71 x 93 mm
- 2 carburateurs Amal, 30 mm
- 56 ch à 6500 tr/mn
- Couple : nc
- 192 kilos à sec
- 180 km/h chrono