La moto de la semaine : Norton 588 Rotary

Actualité du 06/05/2020 par Philippe GUILLAUME
 

Cette semaine, j'ai essayé une Norton 588 Rotary de 1987. Je vous explique pourquoi cette moto est importante.

Cela devait être l'avenir, et ça a quasiment coulé tous ceux, ou presque, qui s'y sont essayé ! Quoi donc ? Le moteur rotatif, pardi ! A la place de pistons qui montent et qui descendent dans une frénésie, somme toute, assez anti-mécanique, le moteur rotatif, inventé par Felix Wankel en Allemagne vers 1930, propose une sorte de mouvement perpétuel nettement plus harmonieux. Plus simple, plus léger, plus compact, ne vibrant pas : le moteur rotatif n'a que des avantages. Ou presque : consommation d'essence, consommation et étanchéité d'huile, voici deux de ses points faibles, d'autant qu'il prend son essor au tournant des années 70, juste avant le premier choc pétrolier ! 

Evidemment, c'est le monde automobile qui est séduit le premier : Wankel a d'abord bossé chez NSU (les fans d'autos connaissent la sylphide Ro80), mais très vite, Mazda, Mercedes et même Citroën allongent les billets. En France, on aura donc quelques exemplaires de GS Birotor (construite à 846 exemplaires), dont le moteur se retrouvera aussi dans la Van Veen OCR 1000 hollandaise ! 

Car la spécificité du moteur rotatif, c'est que sa compacité le rend compatible avec le châssis d'une moto. C'est pas génial, ça ? Du coup, accrochez-vous, car ça s'active en coulisses ! MZ réalise un prototype en 1965, sans donner suite. Ural aussi, a fait un prototype de side-car à moteur rotatif... Côté prototype, Kawasaki s'y est essayé avec la X99 de 1976, un an après le proto RZ201 de Yamaha (qui lui, paraissait nettement plus abouti et pour ainsi dire prêt à la commercialisation). Honda n'a officiellement, jamais trop touché à ça, mais on sait que s'ils n'ont jamais acheté le brevet à Wankel, un bloc rotatif a été placé dans un cadre de CB 125 en 1971... 

C'est en 1974 que les choses basculent, avec la commercialisation simultanée de la Sachs Hercules W2000 et de la Suzuki RE-5. Bien mal leur en a pris : Sachs et Hercules n'ont pas percé avec cette techno, tandis que les faibles ventes et le coût astronomique de production de la RE-5 a tout simplement failli couler Suzuki. Et Norton dans tout ça ? On y vient ! 

Norton 588 Rotary, sa vie, son oeuvre

Le rotatif, on y croit aussi en Grande-Bretagne. Enfin, surtout David Garside. Ce jeune ingénieur, déjà passé par Rolls Royce (moteurs d'avion) se retrouve ainsi chez BSA en 1969, pile poil au moment où toute l'industrie moto anglaise est en train de boire le bouillon et de sombrer vers les abymes les plus sombres. Garside aura fait preuve de deux talents immenses : rester convaincu de la supériorité du Wankel alors que tous les signaux (en auto comme en moto) montrent que cette technologie est complexe à industrialiser de manière rentable, et en même temps, survivre à toutes les restructurations, dépots de bilan, charettes, fusions et réorganisations ! C'est ainsi qu'à la fin des années 70, Garside est encore là (il est passé de BSA à Triumph puis au conglomérat Norton Villiers Triumph), qui dispose encore de quelques maigres pennies pour concevoir des motos. C'est la misère pour de vrai : à ce moment-là, il ne reste plus que trois personnes au R&D ! 

Le premier prototype de Norton rotative roule en 1975. Norton fait évoluer l'engin : Garside accouple deux mono-rotor Sachs, résoud les problèmes de refroidissement en créant des conduits d'air interne, entoure l'ensemble de généreuses ailettes.. Il faudra encore de nombreuses années pour arriver à une sorte de commercialisation. Et avant cela, Norton passera par des "béta testeurs" de choix ! 

En effet, la première série de Norton rotatives est le type P41, aussi appelée Interceptor 2 : elle sera essentiellement réservée aux marchés publics, police, armée, Royal Automobile Club (des services d'assistance). Celles de la police avaient un moteur noir (notre moto d'essai est donc une ex-Police repeinte façon Norton JPS), les autres, un moteur alu. Selon les sources, entre 350 et 380 motos auraient été produites entre 1984 et 1988. 

Pour le public, Norton a fait 100 (ou 105, les sources divergent) Classic Rotary ; couleur grise, moteur alu, elles sont techniquement très proches des Interceptor, mais ont le type P43. Elles ont été produites en 1987 et 1988. Ce n'était pas cadeau pour autant : une Classic Rotary valait alors 6000 £, soit le prix d'une BMW K 100 LT ! 

En 1989, il y a eu la version Commander : la même, avec un carénage intégral "façon BMW" conçu par l'allemand Krauser, fabriquées à 300 exemplaires (239 pour la police, 61 modèles civils). 

Ensuite, au tout début des années 90, il y a eu les F1 et F1 Sport, qui se sont notamment illustrées au TT (victoire de Steve Hislop au Senior TT de 1992), mais c'est une autre histoire... 

Norton 588 Rotary, trois choses qui m'ont fait kiffer

Ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion d'essayer une Norton, ou une moto à moteur rotatif, et encore moins une Norton rotative ! Voici donc trois choses qui m'ont fait kiffer lors de l'essai de cette rareté : 

  • Evidemment, le look ! Entre l'allure classique, les logos Norton en doré, le gros bloc moteur (il ne pèse pourtant que 45 kilos, mais les ailettes le rendent très volumineux), le tableau de bord très old school, on sent que l'on ne va pas que faire un coup de moto, on va aussi vivre un morceau d'histoire. 
  • Le moteur, c'est évidemment la clé du truc ! Côté sonorité, ça gronde comme un deux-temps de forte cylindrée, mais sans les ferraillements. C'est profond, avec peu d'inertie, un peu métallique. J'adore ! Pour un moteur de "600" conçu au tournant des années 80, le Norton Rotary développe quand même 85 ch et surtout, 77 Nm de couple ! En réalité, il est super souple, vraiment fourni à mi-régime, avec une belle allonge et des sensations sonores hors du commun ! Avec le 400 DA couvert en moins de 12 secondes (vitesse terminale de 170), pas de doutes : c'est une moto qui dépote ! 
  • Côté châssis, on peut craindre la merguez : 235 kilos ! Pourtant, le centre de gravité assez bas, l'absence d'inertie mécanique et la bonne géométrie d'ensemble donnent une moto assez agile, et plutôt légère, en termes de feeling. Le freinage est moyen, pas aidé par l'absence de frein moteur ! 

Une Norton 588 Rotary aujourd'hui : combien, comment ?

Vous en voulez vraiment une ? Il va falloir vous armer de patience, car l'engin est rare et ne se retrouve pas trop souvent sur le marché des transactions. Ce n'est pas pour cela que la cote flambe : une vraie Classic vaut entre 10 et 15000 €, et une Interpol 2 recyclée vaut aux environs de 6000 €. Pas cher vu la rareté, la techno et le poids historique de l'engin. Et ce d'autant que, confidences exprimées par le propriétaire de notre moto d'essai, une 588 Rotary semble être une moto fiable et sans histoires, même si la moto n'aime pas la ville (refroidissement) ni l'inaction (le rotor rouille) et que la membrane d'essence est fragile, avec un moteur qui peut être entièrement noyé ! Enfin, en bonne anglaise, quelques farces électriques sont possibles.

Quelques chiffres clé : 

  • bi-rotor, 588 cm3, (2 x 294 cm3)
  • 2 carburateurs SU type H14
  • 85 ch à 9000 tr/mn 
  • 75 Nm à 7000 tr/mn 
  • 235 kilos à sec
  • 200 km/h chrono 

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