Icon, Desert Sled, Full Throttle et Café Racer : toute la famille des Ducati Scrambler 800 a été renouvelée pour le millésime 2019. Mais n’oublions pas le passé et regardons d’où viennent tant les origines que l’inspiration.
L'appel des USA
Dans les années de reconstruction de l’après guerre, on ne mentionnera jamais assez le rôle des Etats-Unis dans la politique industrielle des marques européennes. Tant en moto qu’en auto, d’ailleurs : ouvrons d’ailleurs une parenthèse pour rappeler qu’en auto, c’est l’influent importateur Max Hoffman qui a conduit Mercedes à produire la 300 SL Gullwing, Porsche à faire la 356 Speedster, l’Alfa Romeo Giulietta Spider et BMW le cabriolet 507, trois engins qui sont devenus depuis des mythes hors de portée de la plupart des bourses ; fin de la parenthèse. A moto, c’est pareil : basé à New York, Joe Berliner, importateur Ducati d’alors, demande à Bologne une machine pour la police (d’où les deux prototypes du V4 1260 Apollo), puis une petite machine qui collerait aux aspirations d’une jeunesse insouciante, qui découvre la pratique joyeuse de l’off-road. En ces prémisses d’une épopée flower-power, rouler dans la nature est à la mode, on y savoure l’insouciance de l’époque en célébrant (voire en faisant) l’amour dans les prés. Les motos doivent être à l’image de cette heureuse époque : sympathiques, frivoles et acidulées.
Une base routière, en fait
Ducati entend ce message et à partir d’une petite routière qu’ils ont alors au catalogue, la 250 Diana, ils vont augmenter les débattements de suspension, mettre un guidon haut, relever l’échappement, et sortir ce trait de crayon génial où le réservoir barré d’une plaque de chrome porte à lui seul l’identité de la machine.
Evidemment, la perspective de se taper une Baja mexicaine au guidon d’un tel engin fait un peu sourire, tout comme d’affronter trous et bosses avec une petite fourche maigrelette de 35 mm de diamètre, mais il faut se rappeler qu’à l’époque, le genre naissant des scramblers consistait simplement à rehausser une brave routière…
De fait, la famille des Scrambler connaîtra une belle carrière commerciale, tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Les spécialistes les classent en deux sections : les mkI dites « narrow case », aux carters moteurs étroits, ont été vendues, dans une cylindrée de 250 cm3, de 1964 à 1967. Puis leur succède les mkII, les « wide case », les motos aux carters moteurs un peu plus larges, dans des cylindrées de 250, 350 et 450 cm3, voire même de 125 cm3 pour le marché européen. Elles ont été produites de 1968 à 1974.
Conserver l’héritage…
C’est peu de dire que Ducati a eu le nez creux : la seconde génération du Scrambler s’est vendue à 55 000 exemplaires en 4 ans, et l’année de son lancement, il s’en est écoulé carrément 15 000, soit deux fois plus que la seconde meilleure vente de Ducati, qui était alors la 1200 Multistrada.
Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Pour le savoir, nous avons demandé des explications à Julien Clément, le designer de la famille des Scrambler.
L’origine du Scrambler « new gen » est d’ailleurs intéressante : alors stagiaire au département design de Ducati, Julien Clément travaille sur un projet de scrambler, constatant un manque dans la gamme Ducati. Son projet est retenu, mais Jérôme repart à l’école à la fin de son stage, puis Ducati lui offre un job une fois diplômé : sa mission, faire renaître une famille moderne de Scrambler. C’est dire le talent du jeune homme, à qui l’état-major de Bologne confie une mission lourde de conséquences commerciales !
Dis, Monsieur, dessine-moi un Scrambler
Pour cela, Julien a identifié ce qui faisait l’identité des premiers scramblers : le réservoir en forme de goutte d’eau, la partie chromée, la selle creusée avec l’arrière qui se relève, un peu en forme de banane, le guidon assez haut avec une forme « en V ».
Il ne faut pas croire qu’il suffit d’un petit « pomme C, pomme V » sur la table à dessin et, à l’instar d’une Mini ou d’une Fiat 500, de se retrouver avec un moderne scrambler néo-rétro. Julien précise en effet : « le premier Scrambler avait un moteur monocylindre, compact ; le problème, avec le bicylindre en L, c’est que le moteur est long, donc forcément la machine est longue. En même temps, on voulait aussi une moto accessible au plus grand nombre, donc avec une selle basse. Longue et basse : il se pose un problème de proportions, on ne voulait pas d’un Scrambler disgracieux, donc on a beaucoup travaillé sur ces questions de proportions. Ca aurait été dommage en effet que le nouveau Scrambler eut l’allure d’un teckel !
Le nombre d’Or
Et puis il y a des choses auxquelles le simple mortel ne pense pas, mais qui hantent les nuits des designers. Non, on ne parle pas d’une équerre : ce cas ne concerne que Gerald Kiska, archange autrichien des angles aigus ! Mais plutôt de finesse, de justesse, d’équilibre, disons même de Vérité, avec un « v » majuscule !
Julien Clément nous précise que le Scrambler d’origine était posé sur une roue de 19 pouces devant et de 18 pouces à l’arrière, et que vu les différentes tailles des pneus, on avait les roues à la même hauteur quand on en regarde un de profil.
Pour la famille des Scrambler modernes, tout l’enjeu a été de reproduire cet effet, alors qu’entre la Desert Sled et le Café Racer, les tailles de roues sont différentes. L’équipe a donc beaucoup travaillé sur la hauteur de flanc des pneus et la sélection des bons pneumatiques, tant pour le look que pour les qualités dynamiques.
Et quand on demande à Julien Clément si, au sein de la nouvelle famille des Scrambler, une version a sa préférence, il mentionne le Desert Sled : « c’est lui qui réinterprête au mieux l’esprit du Scrambler », dit-il. Encore que le premier Scrambler est né pour coller à une tendance alors en vogue aux USA, et que la tendance en vogue aux USA, en ce moment, c’est le flat-track. Certes, le nouveau Full Throttle rend hommage à ces machines, mais une version plus radicale pourrait faire sens. Serons-nous entendus ?