Cette semaine, j'ai essayé une Aprilia Tuareg 240 Rally de 1985. Je vous explique pourquoi cette moto est importante.
On sait à quel point le trail était important dans les années 80 : mode du Dakar, fantasme de la nature et de l'aventure, tarifs préférentiels des assurances, polyvalence réelle de ces engins, il y en avait partout, dans la rue, dans les chemins comme dans les gammes des constructeurs, comme on l'a expliqué lors d'un essai récent de la Yamaha 600 Ténéré de 1989. Seulement voilà : le trail avait fait sa mue depuis la 500 XT et était surtout synonyme de moteur 4-temps. Aprilia, au début des années 80, a carrément le vent en poupe : après avoir fait des petits cyclos dans les années 60, des petits trails (le Scarabeo) en 1970, sa première moto de cross en 1974, Aprilia voit grand. La marque envisage de s'engager en GP : ce sera fait en 1985, et elle signera sa première victoire avec Loris Reggiani en 1987, en GP 250.
Côté commerce, un accord d'exclusivité avec Rotax pour l'Italie lui permet d'avoir accès à une belle gamme de moteurs, qui lui permettront d'aller loin (on se souvient que le gros V2 des RSV 1000, Caponord, Tuono, Futura, fut un Rotax). De fait, Aprilia fait le pari du 2-temps avec un mono Rotax de 50 chevaux, ce qui, allant de pair avec une moto légère, permet de performances très intéressantes. La Tuareg Rally est en fait à la croisée des chemins : c'est un vrai trail, dans tous les sens du terme, mais c'est aussi presque une compé-client : l'Italie a alors un championnat local de Rallye-Raid et la Tuareg Rally n'y fait pas que de la figuration. Côté performances, elle pouvait quasiment en remontrer à de plus gros, plus lourds, plus patauds et pas plus puissants gros monos de 600 4-temps !
Aprilia Tuareg 240 Rally : sa vie, son oeuvre
La Tuareg Rally arrive en 1984 et c'est une 250 : comme en France, on aime bien emmerder le monde, un crâne d'oeuf dans un ministère obscur a pondu une loi pour que les 250 soient des 240 et plein d'autres crânes d'oeuf ont trouvé l'idée géniale. Du coup, pour nous, c'est une 240 et elle perd 3 chevaux (47 au lieu de 50, comme si ça allait changer quoi que ce soit). Elle évolue en 1985 : le frein à tambour de 140 mm à l'avant fait place à un disque de 260 mm et c'est une bonne chose. Sur le plan cosmétique, une petite grille fait son apparition sur le phare. En 1986, les coloris changent, ainsi que l'habillage de la partie arrière (carters latéraux, garde-boue, feu arrière). Au même moment, les 350 et 600 Tuareg, animés par des Rotax 4-temps, font leur apparition. Avec leurs quatre soupapes et leur démarreur éléctrique, elles se posent comme des concurrentes aux japonaises de l'époque.
Originalité de l'engin : un réservoir de grande contenance, mais articulé, en deux parties, fixées entre elles par une attache genre "chaussure de ski" !
On notera qu'une 125 Tuareg Rally existait aussi, partageant le même châssis et les mêmes dimensions. Une moto brillante (le petit mono Rotax sortait 36 chevaux !) aux performances étonnantes (130 chrono, le 400 DA en 15,6 secondes avec une vitesse terminale de 127 km/h - ah, c'était quand même autre chose les 125 dans le temps !). Une version 50 a aussi existé : chanceux, les minots !
Aprilia Tuareg 240 Rally : trois choses qui m'ont fait kiffer
C'est une belle rareté que cette moto. Aussi méconnue qu'attachante : voici trois choses qui m'ont fait kiffer lors de l'essai :
- Déjà, c'est du sport ! Entre la hauteur de selle à 920 mm, la béquille centrale qui n'a pas de ressort de maintien et qui demande d'être fixée par une petite lanière sur le bras oscillant, ainsi que le kick à gauche, on a déjà fait de l'exercice avant d'avoir parcouru le premier mètre.
- On pourrait penser que le 2-temps, c'est forcément un moteur pointu. Faux : le Rotax est rond, souple à bas régime, tracte déjà bien à mi-régime, et bien évidemment, s'envole dans les tours, mais sans la violence d'une moto de cross, non plus. Bref, c'est un excellent compagnon qui en plus démarre au premier coup de kick et tient le ralenti sans broncher. Et avec 150 chrono, mais le 100 mètres couvert en 6 secondes et le 400 DA en 14 secondes, elle ne se traine pas !
- Avantage du poids plume (105 kilos à sec, on n'a pas vu ça depuis longtemps !) et d'un châssis aux composants de grande qualité (fourche Marzocchi, amortisseur arrière WP) : la moto est un jouet, vive, précise et rigoureuse à la fois. Quand on pense que sur la fin de leur règne, les trails monos 600 flirtaient avec les 180 voire 200 kilos, on se dit qu'on n'a rien perdu...
Une Aprilia Tuareg 240 Rally aujourd'hui : combien, comment
Problème numéro un : déjà, en trouver une. Problème numéro deux : en trouver une propre. Sachant qu'elle a souvent bien vécu et fait du TT, la mission tourne quasiment à l'impossible. Evidemment, c'est du côté de l'Italie qu'il faudra se tourner, notre exemplaire d'essai étant quasiment unique en France, dans cet état immaculé. On trouvera des épaves à 1000 €, mais pour un très bel exemplaire, la Tuareg Rally prend sa revanche : en effet, alors qu'elle était vendue 24141 F en 1984, soit grosso modo le prix d'un 600 mono japonais, la rareté et les caractéristiques de l'italienne se combinent pour faire grimper la cote : mettez 6000 € pour un bel exemplaire. Evidemment, à ce prix tout sera nickel : les jointures du réservoir articulé tout comme les carters en magnesium du Rotax, qui peuvent se creuser avec le temps. Côté pièces d'habillage, bon courage. Dans tous les cas, si vous tentez l'expérience, rapprochez vous du club Squadra Regolarita Club de France, qui vénère les motos italiennes de TT des années 70 à 90.
Quelques chiffres clé :
- monocylindre, 2-temps, 240 cm3, 72 x 61 mm
- 1 carburateur Dell'Orto, 36 mm
- 47 ch à 8000 tr/mn
- 32 Nm à 7250 tr/mn
- 105 kilos à sec
- 150 km/h chrono