Si en 2016 un Scrambler est le must absolu de la branchitude, au milieu des années 90, ce n'est pas vraiment le cas. "Un Scrambler, c'est quoi ce truc qui sert à rien et ne va pas vite ?", se pose-t-on alors comme question devant cette Voxan Scrambler. Et en plus c'est français ? Non, vous n'êtes pas sérieux ! L’essai de ce modèle, qui a relancé le concept du Scrambler aujourd’hui revendiqué par tous les constructeurs, est significatif : le plaisir est proche d'un idéal de la moto, simplicité et polyvalence. Et la Française avec son moteur V2 étroit et compact avait de grandes qualités pour réussir.
Sur la route des Scramblers
Les motos dénommées "scrambler" apparaissent dans les années 60 aux Etats-Unis (voir notre dossier historique complet Scramblers, la liberté). Pour aller arpenter de nouveaux horizons sur les chemins de terre, les motards de l’époque bricolent sommairement leurs machines de route : guidon haut avec une barre de renfort centrale, échappements relevés sur le côté pour gagner en garde au sol et pneus à crampons. Bien souvent, ces modifs sont faites sur les occasions les plus répandues : des twins anglais. Un scrambler, c’est donc une routière fine, compacte, performante, à laquelle on ajoute un peu de polyvalence tout-chemin : la moto idéale ou presque.
A partir de 65-66, les constructeurs pigent le truc et proposent des scramblers "d’origine" dans leurs gammes. Honda déclinera sa gamme CL en 100, 125, 250, 350 et 450, Yamaha sort par exemple des 250 ou la Big Bear 350 avec un twin 2-temps de route, Suzuki aussi, avec la Laredo 305 issue de la T20 de route, Kawasaki avec des A1SS et A7SS elles aussi dérivées des sportives 250 350 Samurai et Avenger. Ducati fait un effort avec un 250 puis 350 et enfin un 450 mono 4-temps, Norton sort une Commando 750 Scrambler, etc. Moralité : en 5 ans les scramblers sont dans toutes les gammes aux Etats-Unis jusqu’à ce que…
…Yamaha sorte la 250 DT1 en 1968 et lance la vague des trails qui éliminera totalement les scramblers.
Ensuite, plus de trace d’aucun scrambler dans les catalogues !
Orange et alu
Salon de Paris 97, porte de Versailles, le stand Voxan est assailli. La marque française dévoile ses modèles Roadster et Café Racer en version définitive, et en haut du stand un proto Orange accroché en hauteur attire l’œil. C’est quoi ce machin ? Un V2, une immense ligne d'échappement latérale, une couleur vive, des grandes roues à rayons...
Thierry Henriette est l’homme derrière le proto. Créateur de Boxer Bike, de nombreux concepts bikes au long des années, il a proposé cette superbe idée de remettre à jour l’idée d’un scrambler autour de la plateforme V2-cadre double poutre. Il connaît trop bien l’histoire de la moto pour ne pas déceler le plaisir délivré par un scrambler : l’alchimie parfaite entre la liberté et les sensations avant les performances pures. Oser relancer ce concept de machines est une excellente idée car le crédo du fabricant français est simple : "Pour les connaisseurs" ! Et cela a aussi l'avantage de la singularité. Voxan, qui réveille le paysage moto avec le retour d’une industrie française, ne rate pas son coup ! La moto est plébiscitée, la ligne d'échappement fascine et symbolise à elle seule la machine et son genre !
En avril 2001, le Scrambler Voxan fait ses premiers tours de roue devant la presse internationale en Corse. La moto est acclamée par la presse. On ne se doute pas que la production de Voxan va s’arrêter quelques semaines plus tard.
Compacte, essentielle
Au redémarrage de l’usine Voxan en avril 2003, la première machine à sortir des chaînes est le Scrambler. C’est la plus originale et la plus décalée des motos qui arrive d’Issoire. Pas de concurrence, pas de comparaison, le Scrambler est unique.
Sur la base du cadre semi-porteur et du V2 de 996 cm3 communs à toute la gamme, le Scrambler bénéficie d’un développement moteur et châssis spécifiques. Des arbres à calmes assagis, une injection recalibrée, une ligne d’échappement sublime qui parcourt toute la ligne droite de la moto donnent un moteur plus disponible au caractère vivant mais rempli : 85,3 ch à 7500 tr/mn et surtout 10,9 daNm de couple à 6500 tr/min !
Pour honorer ses promesses en usage tout-chemin, le Scrambler reçoit un accastillage plus polyvalent côté châssis : les roues sont à rayons, avec du 19 à l’avant. Les pneus sont les enveloppes mixtes Michelin T 66 à l’aise sur la route comme sur la terre. Les suspensions Paioli ont des débattements plus importants que le reste de la gamme avec 160 et 155 mm. En revanche, comme le Scrambler développe 86 chevaux, il faut du sérieux, du coup le freinage est assuré par un triple disque, avec 296 mm et double piston à l’avant par exemple. Un sabot de protection recouvre les carters moteurs et l’amortisseur central horizontal est réglable en précontrainte.
La ligne du Scrambler est tout en rondeur, parsemée de chrome et d’aluminium poli. On trouve un grand guidon chromé, réservoir arrondi et écopes aluminium. L’instrumentation chromée asymétrique à fond blanc est classique et classieuse. Et comme les sensations du Scrambler doivent être partagées, le passager est superbement choyé : une selle à étages, deux grandes poignées de maintien et des repose-pieds bien placés privilégient le confort. Ça aussi c’est rare et appréciable.
Facilité, liberté, polyvalence
Vous préférez une nationale en bordure d’une rivière ou un autoroute à fond ? Tout part de là. Le Scrambler est promis pour être une ode au plaisir simple de rouler à moto. Facilité, vivacité moteur, ville, campagne, chemin, nationale, rien n’est interdit.
La position est ultra naturelle avec une assise basse, on découvre un réservoir tout en rondeur. Starter au guidon. Le large guidon vous donne la sensation de manipuler un 125 à basse vitesse. Le V2 au son saccadé et rauque est souple après 2500. Avant il cogne un peu. La souplesse élastique et la force du V2 de 4 à 7000 est universelle. Bourré de couple, vous ouvrez les gaz, il fait le reste, genre la force tranquille vous voyez ?
La boîte 6 vitesses est très agréable avec des verrouillages super précis et un débattement limité, c’est un régal qui ferait oublier l’usage de l’embrayage hydraulique.
Puis on tourne un peu plus la poignée, le V2 vous rappelle que c’est un 1000 et passé 6500 tours, la réponse est bien plus agressive jusqu’à 8400 tr/mn. Les 85 chevaux sont bien là, les roues arrière très faciles à réaliser ! Le Scrambler peut vous emmener à 210 compteur mais le jeu n’est pas là. Pour le quotidien, le potentiel global de ce moteur est amplement suffisant. Entre les limitations existantes, le plaisir de rouler relax sur le couple et les envies d’accélération, le compromis est réussi !
Avec des suspensions souples, un grand guidon et un moteur plein comme un oeuf, le Scrambler est une arme à balade. Mais la rigueur de sa conception va jusqu’à la balade très rapide et on arrive à frotter les repose-pieds du passager par terre sans craintes ni réactions vicieuses. On a quasiment la souplesse châssis d’un trail avec la précision et le freinage d’une routière. Le tout sans le poids des maxi trails pachydermiques actuels. Ainsi, on se permet d’aller facilement rouler dans les chemins, la selle basse et le poids maîtrisable vous donnent des ailes et de la facilité.
Le Scrambler sait tout faire, les promesses sont tenues !
Polyvalence idéale
Un V2 "en ligne" c’est forcément fin, un 1000 ça pousse, un trail c’est vif, une routière c’est précis. Le Scrambler Voxan c’est un peu tout cela. Il rigole en ville, se faufile à l’envi. Chercher un coin de pique-nique entre les champs de vignes le fait marrer aussi. Donc ville, OK, campagne et chemins, OK, balade en montagne OK. On peut même attaquer comme un forcené et le faire glisser ! Il n’y a guère que sur autoroute où le grand guidon et l’absence de protection vous ramènent à la réalité.
Pour le reste, c’est un rêve tout en douceur. Pas étonnant que la présentation presse ait été faite en Corse, c’est l’arme absolue pour ce type de parcours.
Cette moto est, et c’est difficile à retranscrire, "présente". Son caractère, ses vibrations, son bruit rauque à l’accélération font que le Scrambler vous accompagne en permanence, du coup il se crée une sorte de dialogue, on s’attache.
Début des années 2000, le culte de la performance est encore très fort. La vitesse est encore un argument. La Voxan Scrambler, qui a réinventé le concept, a eu raison 15 ans trop tôt. Quand on l’essaye cela saute définitivement aux yeux. Elle sortirait aujourd’hui nul doute que la Voxan Scrambler serait sur le tout devant de la scène. Mais voilà, la marque n’a pas survécu. D’ailleurs, durant la séance photo ça n’a pas raté, un monsieur est venu nous dire : "Ah c’est beau, vous savez c’est la moto française, je voulais en acheter une mais j’attendais un peu pour voir ce que ça donnait". Et voilà, tout le monde a trop attendu et il n’y a plus rien eu à attendre... Dommage, vraiment. Pour Voxan et pour le Scrambler. Avec un changement important des comportements, les scramblers sont revenus à la mode en privilégiant des plaisirs simples, et essentiels : le plaisir de rouler à moto. La vitesse pure n’est plus une fin en soi, les sensations priment !
- Sensations délivrées
- Polyvalence
- Rareté
- Difficulté d'entretien avec l'arrêt de la marque
- Faible volume de production