Connaissez vous Soichiro Irimajiri ? En fait, oui, vous le connaissez. Ce brillant ingénieur est le père (entre autres) de la 250 Honda RC 166 de Mike Hailwood, et de sa grande sœur, la 1000 CBX, commercialisée au Printemps 78, il y a juste 35 ans ! Deux monstres sacrés qui auront chacun dominé leur époque en termes de sophistication et de puissance ! Deux pierres blanches de l’histoire de la moto et du patrimoine culturel de Honda.
Honda a, dès 1959, utilisé la compétition le premier (Yamaha puis Suzuki en en dernier Kawasaki suivront) pour démontrer la suprématie de la technologie Japonaise. Avec ses multicylindres 4 temps, la firme a un à un conquis tous les titres mondiaux (avec un record en 1966 : TOUS les titres constructeurs remportés la même année !). Au centre de cette technologie, une incroyable maîtrise des matériaux, et surtout, une grande ligne commune : le fractionnement. Si les Italiens ont depuis les années 50 construit des 4 cylindres de course en 350 et 500, Honda va apprendre et aller bien plus loin ! A cylindrée et à développement technique égal, un bicylindre sera toujours plus puissant qu’un mono (en gros avec un coefficient de 1,4), un 3 cylindres battra un twin etc…. Moralité, l’apogée de ce raisonnement est atteinte avec un 125 5 cylindres, et surtout, un duo 250 et 350 à 6 cylindres !
Seule manière de contenir la puissance croissante des 2 temps adverses, Honda comprend que le régime moteur est la clé de la puissance. Avec de plus petites cylindrées unitaires, et un abaissement du poids des pièces en mouvement, le gain est sensible à chaque fois ! Le 125 atteint les 20 000 tours (chaque cylindre fait 25 cc) , les 250 6 cylindres tutoient les 17 500 (chaque cylindre fait 40 cc) !
La Honda 6 est la machine de la performance et de la sophistication absolue, surtout emmenée par Mike Hailwood. C’est l’icône des GP des années 60, rapide, victorieuse, avec une musique inimitable et unique, c’est la moto de course idéale.
Réaffirmer son leadership
Lorsqu’à la fin des années 70 Honda a besoin de réimprimer sa force sur le marché moto, le raisonnement va reprendre la philosophie exploitée en course lors de la décennie précédente : puissance et sophistication ! Le moteur d’un engin est l’expression de la supériorité de la marque. La compétition s’est déplacée des circuits à la rue.
Depuis la CB 750 Four, Honda a moins séduit, moins étonné par ses concepts. Le développement de la branche auto (la première Civic qui a fait un carton aux USA) a pris du temps et de l’énergie. Tournée vers les USA, la Goldwing GL 1000 produite en 74 n’a pas d’aura sportive. Or, le sport et la puissance sont les éléments incontournables pour imposer son savoir-faire. D’autant qu’Honda est absent des Grand Prix depuis 1968...l’image pâlit, il faut réagir fort.
L’équipe, forgée autour de l’ingénieur Soichiri Irimajiri, n’a pas immédiatement imaginé refaire la moto d’Hailwood. Plusieurs pistes ont été étudiées dont une étude sur la RCB d’endurance qui donnera naissance à la 900 Bol d’Or. Mais, quand on est le meilleur, il n’y a pas d’autre choix : le prestige, la surpuissance, l’exclusivité de l’engin qui surpasse les autres, avec une sophistication extrême, ne peut appartenir qu’à Honda : le 6 cylindres s’impose et la CBX est sur les rails. Elle est présentée fin 77 et sera vendue courant 78 (Juillet pour la France).
105 chevaux et Supersport sur le réservoir
105 chevaux, 24 soupapes, une cathédrale à 6 cylindres, 6 carburateurs, 10 000 tours, voici comment on peut résumer une 1000 Honda CBX : une sorte de moto au superlatif. Tout en plus : plus de puissance, plus de cylindres, plus de luxe . Sous le sigle Honda du réservoir est marqué SuperSport avec Super en rouge … Comme le X du cache latéral ou les éléments des instruments de bords ! Ca va saigner !
Avant même de vous approcher, le moteur saute aux yeux. Il est l’élément roi, il se suffit à lui-même, le châssis est juste là pour le supporter, les roues pour le déplacer. Cette moto est un moteur !
Pour exprimer sa force, le choc est d’abord visuel : il déborde de partout, de face, de trois quart, de dos, sa culasse est prédominante avec le banc de cylindres inclinés de 30 degrés vers l’avant et les 6 pots chromés ! L’effet est garanti aujourd’hui encore lors de chacun de vos arrêts.
En fait, ce moteur est à peine plus large de 5 cm que celui de la CB 750. Mais au lieu d’être large « en bas » à la hauteur des carters, il est large d’épaules et sa culasse est imposante avec son double arbre bien visible car dégagé de toute tubulure du châssis de type ouvert. En « bas », l’alternateur a migré derrière les cylindres pour affiner sa taille. Le moteur du CBX est taillé en V comme les athlètes !
Elégance extrême, regardez les têtes de boulons (axe du bras oscillant, platines de repose-pieds, supports moteur), les têtes des écrous sont évidées pour grapiller du poids, le duralumin est présent : demi-guidons, pédale de frein, etc…
Etonnamment facile
Les gros instruments vous informent de tout, et un voltmètre est présent. Les aiguilles et les incrustations sont rouges, ça annonce la couleur !! Toutes les commandes sont douces et, 35 ans plus tard, la qualité générale se ressent pleinement ! Peintures, plastiques, état de surface des matériaux, rien n’a souffert. Sous vos yeux la culasse ressort du large réservoir (20 litres) de 8 cm de chaque côté, c’est un paysage pour le moins inhabituel, mais l’hiver; vos jambes seront au chaud ! La rampe de 6 carburateurs est disposée en V et ne gêne pas vos genoux.
La CBX est une grosse moto, un peu longue visuellement mais finalement pas hors norme : 1495 mm d’empattement pas très éloigné de la 750 (1480). Derrière vous, un dosseret avec un petit poiler aérodynamique, vous suggère que ça va aller vite ! La 6 cylindres inaugure le traitement noir mat des postes de pilotage. Les demi-guidons sont réglables en écartement, plutôt intéressant ! Contact au centre, starter manuel à main gauche, démarreur, le bouton est rouge. Le concert commence. Un feulement discret au ralenti, un peu de bruit en provenance de la transmission primaire à taille droite.Un coup de gaz le compte-tours s’affole, le feulement devient rugissement. Vous êtes aux grandes orgues. Ou Nobby Clark qui chauffe la moto d’Hailwood. Dans la rue, les têtes se tournent pour voir où est cette Ferrari ?
Après le klong de l’enclenchement du premier rapport, vous pouvez facilement manœuvrer sur le filet de gaz à basse vitesse. Magie des pneus étroits, et du guidon haut, la 6 est maniable. Une chasse 120 mm garantit de la stabilité à haute vitesse, et l’angle de 62,5 ne fait pas une moto lourde qui engage à petit rythme, même si le moteur haut placé se sent dans les bras.
La plage d’utilisation débute à 1500 tours. La poignée de gaz est démultipliée, l’embrayage précis. Pour l’instant le monstre est docile. La souplesse infinie vous permet de repartir à 2000 tours en 5ème. Impossible de trouver un moteur plus plein et disponible. Le 6 cylindres est vraiment d’une douceur incroyable, sans aucune mollesse, . Suave. A 300 tours le 6 produit 28 chevaux, à 5000 tours il y en a déjà 50 chevaux sous la main, c’est une longue poussée régulière parfaitement maitrisée.
Pour écouter la musique qu’on aime, en général on met à fond… là c’est pareil. Le compte-tours monte en un éclair, le compteur aussi. Le tempo et la sonorité changent avec un gain de sauvagerie après 7000, le tout sur fond de hurlements en plus ! La boîte est bien étagée, mais un peu lente, pas grave, le moteur est si plein que ca pousse tout le temps, et en allongeant à outrance. Un régal. Les 105 chevaux sont vraiment là et les sensations sont bien différentes qu’avec un 4 cylindres. Ça allonge et chaque tour moteur est puissament relayé, ce moteur a bien un tempérament sportif !
Le 400 mètres est réalisé en 11 secondes 55, ce qui, avec un poids de 270 kg (avec les pleins) laisse réveur ! Chaque rapport monte très vite jusqu’à la zone rouge à 9500 tours, et l’inertie réduite du moteur est un régal. Une véritable mécanique fleurant la compétition, digne d’un V 12 Italien de couleur rouge.
Onduler ou louvoyer ?
Attention, un S arrive à l’horizon … Là, les limites de la CBX se classent en deux familles : freinage et rigidité ! D’abord, l’examen de la partie-cycle vous a laissé un léger doute avant de démarrer : fourche de 35 mm et pneu de 4,25 de large, même un 125 actuel ne le fait pas ! Alors, avec 105 Cv, moto et pilote lancés à pleine vitesse, va falloir un miracle …….. L’énergie est égale à la vitesse multipliée par la masse au carré….
Le double disque avant de 270 mm (identique à celui de la CX 500 qui est déjà light sur une moto plus légère de 60 kg) est totalement débordé par le poids en mouvement ! Il apporte peu de mordant du fait d’étriers simples pistons, et on ralentit plus qu’on ne freine. Le disque arrière est, lui, très puissant (il est d’ailleurs de plus grand diamètre !), mais son dosage recquiert un peu de doigté. Et si on coupe les gaz, l’inertie polaire du long vilebrequin fait juste tortiller le châssis, mais le frein moteur est plutot réduit, c’est pas un mono !
En termes de rigidité, Honda a privilégié un cadre ouvert, on voit bien le moteur, mais …… c’est ce que de nombreux utilisateurs vont regretter comme Mike Hailwood 15 ans auparavant. En théorie, le moteur est censé participer à la rigidité du cadre diamant. La CBX est ondulante, et ni sa toute petite fourche, ni son épine dorsale supportant les 100 kg d’acier du 6 cylindres, ni son micro bras oscillant ne tiennent le choc. Regardez la jonction bras oscillant / roue : un fer plat de moins de 10 mm, avec un axe de tout petit diamètre.
Honda n’a jamais trop brillé par sa qualité de châssis, et là, c’est encore le cas. Martin fabriquera des bras carrés qui amélioreront un peu les choses, il faut ajouter de l’huile et la choisir plus épaisse dans la fourche, et certains iront jusqu’à gratter la peinture du cadre autour des axes fixant le moteur pensant qu’un contact métal/métal apporterait un gain !
Honda a aussi, n’oublions pas, dévoilé ses fameuses jantes Comstar pour utiliser des pneus tubeless seuls capables de supporter l’effort (Vitesse + charge). Mais ces jantes aux branches rivetées ne sont guère….. rigides elles aussi !
Enfin, la CBX inaugure des amortisseurs ultra sophistiqués avec 30 possibilités de réglages (3 réglages de détente en haut de l’amortisseur, 2 de compression hydraulique avec le levier du bas et 5 précontraintes du ressort) qui perdront vite les amateurs ! Mais la CBX gigote tant que l’on met tout à fond et la moto est un bout de bois augmentant encore l’écart avec la fourche trop molle ! C’est comme si une charnière invisible était cachée quelque part.
Pourtant , le moteur à peine plus large que celui de la 750 Four, les carters chanfreinés et les collecteurs resserrés vous autoriseraient de sacrées prises d’angles…. Honda annoncait 41,31° en charge avec le pilote ce qui est énorme…….. si vous osiez !
Moralité, il vaut mieux enrouler et profiter de la poussée sans limites du moteur plutôt que de piloter en forçant la moto dans ses derniers retranchements. Avec de la finesse et de l’anticipation (attention à l’inertie dans les changements d’angles) on va facilement vite. La mise en charge du moteur tire la partie-cycle et, sortir du virage est plus sûr de cette manière. Et c’est plus mélodieux !
D’ailleurs si la CBX a gagné le Bol d’Argent avec Adréani et Arimondo, c’est grâce à sa vitesse de pointe dans la ligne droite du Mistral au Castellet, plus que grâce à son comportement. Ondulations et tortillages ont rythmé les tours !
Dans un usage quotidien, la CBX est un régal. Sa ligne intemporelle est à la mode avec le retour des roadsters, sa sonorité envoûtante est exclusive. Si son entretien est coûteux (il faut tout multiplier par...6 ! ) sa fiabilité n’a aucune faille et son agrément est inégalé aujourd’hui encore. Dans un cadre balade, sa souplesse vous apporte une dosabilité extrême sans oblitérer le caractère mécanique ! Aucune autre ne vous donnera autant. Le son du moteur, son caractère, la sensation de chevaucher une machine totalement hors normes sont aussi très appréciables à chaque instant. Hautement désirable comme avec une Jaguar, mais c’est vous le chauffeur !
- Prestige
- Motorisation exceptionnelle
- Chef d’œuvre mécanique
- Agrément
- Coût de réfection
- Poids
- Tenue de route
- Freinage
- Tarif
Vidéo:
1978 : 1051
1979 : 850
1980 : 592
1981 : 264 (et 352 Prolink)
1982 : 158 (et 346 Prolink)
1983 : 94 Prolink
1984 : 27 Prolink
Total : 3734 unités vendues en France ( 819 Proink )
Pour vous aider un très actif club existe :
CBX Club de France : http://www.cbxclub.fr/ . Un club qui a par exemple rassemblé 35 CBX au paul Ricard pour les 35 ans de la 6 cylindres au Castellet
Pour les pièces : CBX Nice Parts à Nice ou DD Moto Team dans l'Ain