Nombreux sont les nostalgiques des 2-temps sportifs. A quoi ressemblerait une 500 2T si elle existait aujourd’hui ? 500 RDLC, 500 Gamma, 400 NSR, l’âge d’or des gros 2-temps "Grand Prix replicas" remonte aux années 1980. Look rondouillard, parties cycles limitées, pneus étroits, jantes de 16 et petits freins sont aujourd’hui désuets. Nombre de passionnés partent de ces mécaniques en leur greffant des périphériques modernes. Mais rares sont ceux qui reconstruisent intégralement une moto. C’est le cas ici !
Comment ça serait si...
Si elle sortait d'un catalogue de constructeur aujourd’hui, comment serait une 500 2-temps en 2017 ?
Compacte, cadre alu périmétrique, jantes en 17, freins radiaux, et lignes pointues…
Très rapidement le projet est mis au clair : un châssis alu d’Aprilia RS 250 et un moteur de 400 Honda NSR choisi pour sa compacité, où les carbus sont au cœur du V, et le rapport largeur/longueur du bloc semble bon pour entrer dans un cadre qui n’est pas prévu pour !
Côté moteur : ce 400 V3 a un potentiel un peu limité. Donné pour 72 ch catalogue, il va devoir subir un gros coup de boost.
La carrosserie est l’objet de beaucoup de dessins avant d’arriver à la version finalisée, en intégrant une contrainte majeure : elle doit être en tous points conforme à un usage route.
De bonnes fées sur le berceau
Après quelques mois pour affiner le concept global et l'achat des pièces, il faut maintenant que quelqu'un de qualifié réalise l'assemblage. L'organisateur de la Sunday Ride Classic a missioné Yves Kerlo pour la fabrication du prototype. Les 2 hommes se connaissent, ils ont travaillé ensembles lors du titre Mondial de l'équipe MIG en endurance en 1995.
A la première présentation à blanc du moteur dans le cadre d’Aprilia (et son superbe bras oscillant typique des anciennes 500 de GP), il semble qu'il faille juste envisager la refabrication d’un bâti inférieur pour le moteur. Puis les choses se compliquent. Impossible de rentrer la grosse rampe de carbus kits dans le cadre de l’Aprilia, il faut découper… Il faut refaire un bâti arrière complet pour laisser passer le corps du 3ème pot détente, il faut trouver une place pour le radiateur, il faut inverser les culasses pour réorienter les sorties d’eau (il était impossible d’y brancher les durits). Le passage du faisceau électrique prend trop de place, etc. Tout doit être réfléchi et par exemple c'est une micro batterie lithium qui a été choisie pour être cachée sous la selle également.
L’arrivée des pièces Tyga pour la carrosserie est un autre grand moment : carénage à peu près OK, mais il faut remodeler plusieurs endroits pour laisser passer les pots. Dans le bâti arrière de cadre qui sert de support à la selle, il faut intégrer un petit réservoir d’huile de mélange avec une ouverture sur le dessus du dosseret. C’est beau ! Du coup la ligne de la selle sera intégralement refaite, avec par exemple le choix d’intégrer le feu arrière en bout de dosseret et de faire sortir le silencieux en dessous. Cela modernise encore la ligne.
Le talent d’Yves Kerlo, ses connaissances en réalisation de prototypes et de conception de machines de Grand Prix auront été très précieux. « Le commanditaire avait une idée extrêmement précise du résultat. C’était faisable mais pas simple du tout ! Ce fut un vrai challenge pour la rendre cohérente. Elle est aussi compacte qu’une moto de GP, mais il y a en plus tout l’accastillage route, ce ne fut vraiment pas simple ! »
A la recherche des chevaux
La liste des pièces pour faire évoluer le V3 Honda en 475 cm3 est impressionnante. D’origine, le 400 NSR fait 387 cm3 et il délivre 51 ch à la roue arrière. Un ensemble complet pistons-cylindres arrive d’Angleterre en 475 cm3. La rampe d’alimentation est construite à base de 2 rampes spéarées de carburateurs de 250 NSR Honda (32 mm contre 26 d’origine) achetés au japon. Avec les gros carbus il a fallu usiner de nouvelles pipes d’admission en alu. Une boîte à air dynamique entoure les carbus et va prendre l’air directement depuis la bouche du carénage, des clapets fibres très modernes sont issus des motos de cross. La pignonnerie de boîte est refaite (en Angleterre aussi) avec une première rallongée, et une suite resserrée. Un étagement plus racing.
L’ancien pilote de GP Terry Shepherd (le seul à avoir fait courir une 400 NSR au Tourist Trophy) construit un ensemble complet d'échappements redéfinis. C’est Yves Kerlo qui les assemblera sur la moto pour s’intégrer au mieux dans le châssis d’Aprilia.
Et puis Yves Kerlo demande à Guy Bertin d’assembler le moteur définitif avec toutes les pièces. Et là, une discussion s’engage avec le propriétaire pour refaire un vilebrequin sur le modèle des 500 Honda RS de Spencer ou de Mamola de l’époque : un vrai vilo calé à 120 °. Le vilo était le dernier truc d’origine. Ce changement de calage va engendrer la confection d’un nouvel allumage programmable ! C’est le Tchèque Zeeltronic qui se charge de sa conception. Au premier passage sur le banc, le moteur a littéralement surpris tout le monde, plus de 88 chevaux à la roue !
Mais lors des premiers essais la venue des chevaux se faisait de manière si brutale qu’il est arrivé de voir la rampe de carburateurs se déboîter de ses pipes d’admission. Il a donc fallu reprendre les fixations moteur et fabriquer une butée pour éviter la torsion. Brutal !
La mise au point fut l'œuvre de VarmUp Moto à Hyères qui a travaillé longuement sur l'équilibre de la rampe de carbus pour parvenir à une moto utilisable. Apres 1000 essais (aiguilles kit du HRC, aiguilles kit Jha, etc.), ce sont finalement des aiguilles d'origine retravaillées et rallongées par un bijoutier spécialisé en montres précieuses qui donneront le meilleur résultat. Les carbus étant spécifiques aux NSR 250 Honda, il n'y a pas d'aiguilles adaptables au catalogue Keihin ! Un gros casse-tête.
Plusieurs industriels impliqués
Le freinage vient de chez Beringer. Le fabricant français a notamment conçu un système de freinage arrière au pouce comme Doohan l'avait sur sa 500 d'usine ! Le maître-cylindre arrière choisi pour la RS pèse 455 grammes ! A l’avant, des pattes spéciales ont été usinées pour pouvoir monter les derniers modèles d’étriers radiaux. Avec le célèbre maître-cylindre Aerotec, nul doute que ca va freiner !
Christophe Roussilhes de PFP - Öhlins France a aidé à la conception d'un amortisseur arrière sur mesure. "La contrainte du 2 temps est que le véhicule est plus léger que ce que nous travaillons aujourd'hui avec les 4 temps. Un challenge intéressant pour notre atelier !" Il a fallu en construire un spécial car la bonbonne doit être intégrée à côté du pot d’échappement supérieur qui passe sous la selle.
La fourche a également subi une grosse évolution avec des cartouches intérieures d'un kit racing de Honda CBR.
Et une gueule !
"Il ne fallait pas que la machine ressemble à ci ou ça comme une réplica. Il a donc fallu créer une ligne générale qui soit moderne et exclusive". Multiples pièces en carbone (le support compte-tours est un vrai modèle de Grand Prix), double optique très contemporaine, prise d’air frontale inspiration MotoGP, feu arrière intégré, dimensions des clignos, platines de repose-pieds taillées masse, la RS ressemble vraiment a un modèle de la production actuelle. Le côté tuning a soigneusement été évité. Regardez comment la béquille s'insère dans le carénage, du grand art !
On notera les différents clins d'œil, le nom RS, patronyme de modèle commun à Aprilia et à Honda dans leurs gammes, le logo HRC détourné en SRC, la combinaison du logo Aprilia et de l'aile Honda pour réunir les 2 constructeurs sur la même signature !
Alors ?
Alors, la machine est toute petite, superbement finie posée sur sa béquille latérale. On imagine mal que c’est un proto unique. Elle ressemble vraiment à une machine de production, sauf le revêtement de selle typiquement racing.
Démarrage au kick (avec une pièce en alu pour le verrouillage), on n'est plus vraiment habitué, mais le V3 comprime peu et le mouvement est très démultiplié.
Ça craque. La sonorité est totalement oubliée depuis des années, un mélange de boîte à air qui aspire sous le réservoir et d’échappements qui crépitent. Ça sent les Grand Prix en prégrille !
Boîte douce, embrayage qui se manipule d’un doigt, il faut être prudent, la moto est unique et elle a demandé plusieurs années de fabrication. Ce sont ses premiers tours de piste et la piste est mouillée et froide... Gaffe !
Premiers tours pour une bonne découverte. Le moteur est souple et disponible. La position est très basculée sur l’avant comme toutes les sportives actuelles. On est vraiment en appui sur les poignets. Avec 140 kg à sec, elle change de direction d’une seule pression de pied. Elle est vraiment très agile. On sent immédiatement une moto rigide, d'un bloc. Le frein avant est surpuissant. En fait, il faut juste poser un doigt dessus et la légèreté de la moto fait le reste ! En quelques tours l'habitude est prise, et le feeling vient en roulant.
Pétard à mèche courte !
Le moteur est dosable et réagit correctement en fonction de l’ouverture des gaz, quand on chauffe la mécanique mais que donnent les hauts régimes ?
Passé 7000, l’avant s’allège d’un coup, si l’on est en 1ère ou 2è c’est le wheeling assuré. De 7 à 11 000, c’est le délire, ça pousse, ça hurle, la machine accélère très vivement grâce à une faible inertie et aux rapports de boîte. Et encore on a la courbe d’allumage soft (bouton de commande sur le té de fourche) !
Dosable, la RS n’est toutefois pas coupleuse, il faut la garder dans la bonne plage de régimes pour ressortir (très) fort d’une courbe, mais là c’est la catapulte assurée ! Les sensations sont maximales.
Le châssis est au-dessus de tout soupçon. Précise et agile, la partie cycle de la 475 est très bien amortie et fait parfaitement travailler les gommes qui chauffent vite malgré les températures basses. Très légère, la moto se place instantanément en suivant votre regard. On entre même un peu trop tôt à la corde en étant habitué aux lourds 4-temps actuels. D’autant que le 2-temps n’a aucun frein moteur et qu’il faut se réhabituer.
Le frein au pouce est un atout sur l’angle, on peut ouvrir les gaz tôt, en ne craignant pas trop le moment d’explosion car on peut garder un peu de freins avec le pouce tout en étant déhanché ! Pratique quand on s’est accoutumé. On se met sur l’angle, on prend vite les gaz en contrôlant avec le frein et hop passé 7000 on lâche les chevaux et c’est reparti pour le grand 8 !
Malheureusement, la séance est bien courte et il faut rendre le jouet, d'autant que la lumière tombe sur le Paul Ricard. La machine est en tout cas parfaitement bien née, elle est exempte des défauts d’un ordinaire proto. Tout fonctionne jusqu'aux clignos, rien à signaler durant la séance d’essai ni les photos, et le comportement dynamique n’a guère d’équivalent aujourd’hui.
On ne vous parle même pas du déchirement de devoir la rendre... mais on l'a pas cassée !
Une machine fascinante, même non rodée. Le son, les odeurs, la légèreté de l'ensemble, la qualité de comportement et le caractère explosif du moteur sont vraiment uniques. Une moto qui donne encore plus de quoi regretter l'absence de machines homologuées 2 temps : songez donc, 88 chevaux pour 140 kg à vide. Un type de motorisation oublié pour les motos de route, alors que Bombardier parvient sans peine à homologuer un 800 2-temps de 160 ch pour ses motos-neige, et que KTM va homologuer des 300 d'enduro 2T avec injection ! En tout cas, le 2-temps est toujours aussi enthousiasmant, vif, léger, c'est la mécanique idéale pour une moto sportive !
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